Et si votre réseau bloquait votre carrière sans que vous vous en rendiez compte ?

Posté le 19/11/2025 dans Généralités Réseau

Et si votre réseau bloquait votre carrière sans que vous vous en rendiez compte ?

Je l’ai toujours dit depuis vingt ans : « beaucoup de choses se jouent grâce au réseau ». C’est une évidence. Il faut l’entretenir, le nourrir, le développer, le protéger. Réseaux sociaux, anciens élèves, clubs métiers, think tanks sectoriels : tout nous pousse à rester bien connectés.
Mais il existe une question que l’on se pose rarement : et si ce même réseau, si soigneusement construit, vous enfermait dans une trajectoire professionnelle trop étroite, trop prévisible, voire obsolète ?
Ce qui fait votre force aujourd’hui peut devenir, sans vous en apercevoir, un handicap pour votre évolution. La vraie question n’est donc plus seulement : « Ai-je un bon réseau ? », mais « Mon réseau m’ouvre-t-il vraiment les bonnes portes ? Ou m’enferme-t-il dans une bulle confortable mais sans perspectives ? ?

Quand le réseau devient une bulle qui rétrécit votre monde

Miller McPherson, Lynn Smith-Lovin et James Cook ont conceptualisé l’homophilie – le fait que « ceux qui se ressemblent s’assemblent ». Conséquence : a priori, votre réseau vous ressemble. On y retrouve vos écoles, vos entreprises, vos métiers, vos codes, vos habitudes et vos références. Avec lui, vous partagez les mêmes événements, les mêmes idées, les mêmes analyses d’actualité et éventuellement les mêmes fake news. C’est rassurant, fluide, agréable et reposant. On ne se remet pas en question et on a le sentiment d’être sur la bonne trajectoire.
Cependant, plus un réseau est homogène, plus il risque de devenir une prison. Cela s’apparente à une bulle qui filtre l’information, les opportunités et les perceptions de ce qui est souhaitable ou possible. Vous avez l’impression de voir l’étendue des possibles, alors que vous ne voyez, en réalité, qu’un fragment de ce que vous pourriez faire. Vous pensez avoir une bonne visibilité sur les tendances émergentes, alors que votre réseau existant vous rend myope comme une taupe.
Le danger est là : ce que vous prenez pour un écosystème riche n’est parfois qu’une chambre d’écho. Les opportunités que l’on vous propose ressemblent à ce que vous faites déjà : c’est pareil en un petit peu mieux. Tout ce qui pourrait sortir de ce cadre, vous ne le voyez pas. Résultat : vous êtes sur une trajectoire prédéfinie qui vous paraît évidente, logique et rationnelle.

La cage dorée des biais de similarité

Notre tendance naturelle à préférer les personnes qui nous ressemblent crée un biais de similarité qui nous rassure et nous permet d’éviter tout questionnement fatiguant. Il facilite la confiance, mais il appauvrit la diversité.
Dans la durée, cette homogénéité devient une cage dorée. Prenons le cas d’un directeur financier dont la quasi-totalité du réseau est composée de directeurs financiers, de banquiers et de conseils financiers. Il restera naturellement informé des meilleures pratiques de son métier, mais il risque de passer à côté d’opportunités nécessitant une compréhension fine d’autres univers, par exemple le digital, l’IA, l’expérience client ou les enjeux environnementaux.
Même chose pour une dirigeante issue du même groupe depuis quinze ans, en lien constant avec des collègues, anciens collègues et partenaires historiques de ce groupe. Son réseau est certes puissant, fidèle, efficace… mais très centré sur un seul modèle d’organisation, un seul style de leadership, un seul type de marché. Le jour où elle souhaite bouger, elle découvre que son capital relationnel est très peu diversifié.
Dans son ouvrage « Structural Holes », Ronald Burt, sociologue américain, introduit le concept fort intéressant des trous structuraux. Il démontre qu’un réseau trop dense et homogène produit surtout de la redondance. C’est le risque typique d’un réseau de clones qui, selon lui, créent un désavantage concurrentiel dans les carrières, les organisations et les marchés.
Tout aussi intéressant, Cass Sunstein travaille sur les chambres d’écho et la polarisation de groupe. Il montre que lorsque l’on reste entre « gens qui pensent comme nous », on ne devient pas plus raisonnable, mais plus extrême. C’est une autre forme de danger des réseaux de clones. Dans une interview à Harvard Law School, il dit : « Le plus gros problème est simple : c’est la polarisation de groupe. Si vous écoutez des gens comme vous, vous deviendrez probablement plus extrême et plus sûr de votre opinion tranchée. » Appliqué au networking : un réseau de clones ne se contente pas d’être pauvre en idées nouvelles, il durcit les opinions et les biais de ceux qui y sont enfermés.

Briser la bulle : entrer dans le cross-networking

La bonne nouvelle, c’est qu’il vous est tout à fait possible de développer votre champ relationnel sans éliminer ce que vous avez déjà construit. Il s’agit moins de changer de réseau que de le rendre poreux, en pratiquant le cross-networking.
Le cross-networking consiste à créer volontairement des ponts avec des mondes qui ne sont pas ceux que vous fréquentez habituellement. Il s’agit de rencontrer des personnes qui ne soient pas vos clones. Par exemple, des individus issus d’autres secteurs, de générations différentes, de disciplines éloignées de votre expertise ou ayant d’autres cultures professionnelles. C’est un mouvement d’ouverture assumé, plutôt qu’un simple ajout de connexions sur LinkedIn.
Un cadre dirigeant d’un grand groupe qui rejoint un collectif d’entrepreneurs à impact découvre d’autres manières de penser la croissance. Un responsable de production industrielle qui échange régulièrement avec des chercheurs et des data scientists commence à voir différemment ses chaînes de valeur. Une cadre dirigeante qui s’implique dans un think tank élargit sa vision du leadership, de la motivation et de la transmission.
Ces incursions dans d’autres univers enrichissent votre façon de réfléchir, de décider et de vous projeter. Elles vous exposent à des signaux faibles, à des tendances émergentes et à des opportunités que votre réseau habituel n’identifiera pas forcément.

Changer de posture : passer de « mon réseau » à « mes écosystèmes »

Se libérer de la prison invisible de son réseau suppose également de changer de posture. Tant que vous considérez votre réseau comme un actif à posséder, vous aurez tendance à le gérer en bon jardinier du dimanche : vous entretenez, vous éliminez les mauvaises herbes et vous contemplez le résultat.
En parlant plutôt d’écosystèmes, vous acceptez l’idée de circuler entre plusieurs sphères, d’être tantôt au centre, tantôt en périphérie, parfois en exploration. Vous n’êtes plus seulement le bénéficiaire de votre réseau, mais un contributeur au sein de plusieurs environnements relationnels.
Cela vous amène à vous rendre visible autrement. En prenant la parole sur des sujets proches mais pas strictement identiques à votre spécialité. En participant à des événements où vous ne connaissez personne. En proposant des mises en relation entre des personnes qui ne se seraient jamais croisées sans vous. En vous laissant inviter dans des lieux ou des communautés qui ne faisaient pas partie de votre paysage habituel.
Ce changement de posture modifie aussi votre rapport au temps. Les relations riches ne se construisent pas sur des échanges utilitaristes, mais sur une curiosité sincère. L’objectif n’est plus de faire du réseau à court terme, mais de créer du sens et de la valeur dans la durée, des deux côtés.

Retrouver du mouvement dans votre trajectoire professionnelle

À partir du moment où votre réseau se diversifie vraiment, votre carrière se remet en mouvement. Non pas forcément parce que vous changez de poste immédiatement, mais parce que vous changez de regard sur ce que sont vos possibilités d’évolution professionnelle.
Vous commencez à envisager des passerelles que vous n’auriez jamais jugées crédibles auparavant. Des secteurs que vous regardiez de loin deviennent soudain accessibles. Des types de fonctions, de gouvernance ou de projets que vous n’auriez jamais osé viser passent dans le champ du possible.
Votre récit professionnel s’enrichit. Vous ne vous présentez plus seulement comme « professionnel de tel secteur » ou « spécialiste de telle fonction », mais comme une personne agile et curieuse qui sait naviguer entre plusieurs univers, faire dialoguer des logiques différentes et traduire des cultures professionnelles spécifiques.
Ce mouvement ne se décrète pas en un claquement de doigt. Il se construit par étapes, via des rencontres inhabituelles, des conversations inattendues et des collaborations ponctuelles. Chaque ouverture vous éclaire, élargit votre horizon et réduit le pouvoir d’enfermement de votre réseau initial.

Faites l’audit de votre réseau

Votre réseau actuel est-il un tremplin ou une prison invisible ? La réponse ne se trouve ni dans le nombre de vos contacts, ni dans le prestige de vos relations, mais dans la diversité réelle des mondes auxquels ils vous connectent.
Prenez un moment pour le vérifier. Regardez la composition de votre sphère relationnelle par secteur, par type de formation, par fonctions, par origine du contact, etc. Servez-vous de l’intelligence artificielle pour organiser le mapping de votre réseau et demandez-lui, en fonction de votre situation actuelle, quels seraient ses conseils pour développer de nouveaux écosystèmes relationnels pertinents pour élargir votre champ de vision et vous ouvrir plus d’opportunités intéressantes d’évolution professionnelle en accord avec vos ambitions et vos valeurs.
Herminia Ibarra, professeure à l’INSEAD, aborde la question sous l’angle du leadership et du développement de carrière. Elle insiste sur l’importance de diversifier son réseau et de sortir de sa zone de confort relationnelle. Elle recommande de « construire un réseau divers et dynamique pour obtenir de nouveaux éclairages » et de « se connecter avec des personnes en dehors de son cercle immédiat pour éviter les tendances narcissiques et paresseuses ».

Et maintenant

À vous de jouer. Identifiez dès aujourd’hui deux ou trois espaces nouveaux à explorer, des personnes à rencontrer hors de votre cercle habituel, un événement ou un collectif où vous serez, pour une fois, celui ou celle qui ne connaît presque personne. Ce léger inconfort est souvent le prélude à de grandes avancées.
C’est ainsi, en rendant votre réseau plus poreux, plus vivant et plus divers, que vous créez les conditions d’une véritable évolution professionnelle. Alors, prêt à sortir de la bulle ? Partez !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *